13
November
2023
Dans l'histoire du tricot, les hommes ont toujours été présents. En Islande bien sûr, mais pas que. Sur Papote & Pelote, ils ont une place de choix dans la série Les Laines et Les Garçons, où ils se livrent sur leur passion pour le tricot, leur pratique et la manière dont ils sont perçus dans leur entourage et la société.
Aujourd'hui, dans ce nouvel episode de la série Les Laines et les Garçons, je te présente Enrico, qui tient la mercerie Les Tricoteurs Volants. Boutique parisienne à deux pas de la Gare de l'Est, ce paradis de la laine est une halte incontournable lorsque l'on visite la capitale. Dans ce quartier très vivant de la ville, Enrico reçoit les passionné.e.s de tricot, toujours un encours dans les mains.Il se livre dans une interview avec beaucoup de poésie et d'esprit, deux qualités qui semblent le caractériser. Avec un brin de malice, aussi. Découvre son univers au travers de cette interview ...
Ça a commencé avec le crochet pendant la fac. Je voulais me fabriquer un sac à provisions, une amie m'a montré les bases et je suis devenu un crocheteur occasionnel. Des années plus tard, dans ma trentaine, une autre amie m'a appris à tricoter, et là ça a été le trou noir. Au bout de quelques semaines, j'avais déjà un stash conséquent et plusieurs ouvrages sur mes nouvelles aiguilles. Ce qui m'a enthousiasmé dans le tricot, et qui m'enthousiasme encore, c'est la possibilité de créer des vêtements et des accessoires uniques pour soi et pour les autres. Et aussi le fait de créer dans un style contemporain avec des gestes et des techniques anciens. La découverte du tricot m'a mené vers le filage, le tissage et la teinture, mais ces dernières restent des activités corollaires.
Je préfère les fibres animales naturelles, surtout la bonne vieille laine de mouton. Si elle est très peu traitée, limite non teinte, et si elle sent un peu la bergerie, c'est encore mieux. Concernant l'épaisseur, je n'aime pas les fils trop gros. Je trouve mon bonheur entre le lace et le DK.
Toutes les techniques où il est question de transformer une grille aride en un motif chatoyant, qu'il s'agisse de dentelle, de jacquard, de mosaïque ou de torsades. Entre les quatre, je crois avoir un faible pour le rendu coloré et moelleux du jacquard.
Je ne rêve pas de réaliser un ouvrage en utilisant cette technique, mais j'avoue que je n'ai jamais fait d'entrelacs. En fait, si, j'ai fait un échantillon, et j'ai trouvé la technique fastidieuse et le résultat... un peu moche.
J'aimerais avoir le courage d'envoyer un châle tricoté par mes soins à Siouxsie Sioux, chanteuse que j'idolâtre (et dont j'ai trouvé l'adresse postale !), ou bien à la youtubeuse Caitlin Doughty, dont j'apprécie beaucoup le travail, l'humour et l'engagement.
Je sais que dans le monde du tricot on m'appelle le Tricoteur Volant, du nom de ma boutique, et cela m'amuse beaucoup. En revanche, je ne sais pas (encore) quels pouvoirs sont liés à ce surnom.
J'adore tricoter vautré dans mon canapé, c'est le meilleur endroit du monde. Certes, je serais prêt à échanger pour un endroit aussi confortable mais en plein air, par une belle journée d'automne, en proximité d'un cours d'eau, avec de la bonne compagnie et des bonnes choses à boire et à manger, éventuellement.
J'écoute de la musique presque à longueur de journée, mais je tricote surtout en regardant des séries. Certains de mes ouvrages sont strictement et indissociablement liés à une ou plusieurs saisons de certaines séries en particulier : j'ai des chaussettes Outlander, un pull Torchwood, un châle Twin Peaks, un gilet Big Mouth...
Certaines de mes aiguilles étaient très surprises de se retrouver à la boulangerie ou chez le fromager, quand il m'est arrivé de les mettre "en attente" autour de mon cou et de les oublier en sortant faire les courses. D'autres n'étaient pas du tout contentes de se retrouver au fond d'une piscine quelque part dans le Sud-Ouest...
Il m'est arrivé plusieurs fois que mon interlocuteur croit à une blague. Pas de rancune, j'ai moi-même du mal à accepter la réalité de certains métiers.
J'ai eu droit à un certain nombre de "Ah, mon oncle Philibert/cousin Pierre-Marie/voisin de palier tricote aussi, vous savez ?", comme si j'avais demandé à valider mon statut de tricoteur. J'ai toujours répondu avec un vague sourire.
Une fois, une soi-disante féministe m'a reproché d' "imposer ma masculinité dans un milieu réservé aux femmes". J'ai trouvé le propos tellement idiot et sexiste que je n'ai pas répondu. Concernant les autres tricoteurs, je crois que le fait de voir un homme derrière le comptoir peut les encourager à venir dans ma boutique. Si j'ai de plus en plus de clients hommes, je crois que c'est un peu à cause de ça. Et parmi mes amis, sans avoir pourtant déclenché de vocations, j'en ai quand même initié un ou deux.
Au début de ma carrière j'ai tricoté pour une cliente un pull en mohair, matière que je n'aime pas spécialement tricoter, dans un ton de jaune canari radioactif crame-rétine insupportable. J'étais bien content quand je l'ai terminé.
Au risque de paraître mièvre et sentimental, je dirais que l'ouvrage dont je suis le plus fier, c'est ma petite boutique. Je n'étais vraiment pas rassuré quand je l'ai ouverte, et aujourd'hui, dix ans plus tard, je peux me dire que j'ai fait le bon choix.
Merci à Enrico de s'être dévoilé dans cette interview et longue vie à son incroyable mercerie parisienne ! Tu peux le suivre sur son compte instagram : @lestricoteursvolants !