12
June
2024
Quand les beaux jours reviennent, nous sommes nombreux·ses à délaisser la laine et le mohair au profit de fils plus adaptés à la saison estivale. Aujourd’hui, je vous propose donc de partir à la rencontre de Mathilde, la pétillante fondatrice de Natissea, qui propose sur sa boutique des fibres végétales produites de la manière la plus écologique possible.
Une petite présentation s’impose ! Je laisse la parole à Mathilde :
« Je m’appelle Mathilde, j’ai 35 ans et depuis maintenant quatre ans, j’ai créé Natissea. Tout cela est parti d’un besoin personnel. J’ai toujours tricoté et à un moment donné où je faisais une transition écologique et végétale, j’ai eu envie de m’intéresser à ce que je tricotais et je ne trouvais pas d’alternative écologique. J’ai alors commencé à creuser ce qu’il était possible de faire. À ce moment-là, j’étais salariée dans une entreprise, chez un organisateur de salons de tissus professionnels. J’avais déjà entendu parler du chanvre, de toutes ses propriétés et de son côté écologique. C’est donc assez naturellement que je me suis tournée vers cette matière. »
Mathilde s’est donc concentrée sur le chanvre et a commencé à faire des recherches pour trouver des fibres locales, mais Internet ne lui a offert qu’un vaste désert : pas de fils à tricoter, des fibres provenant de Chine et des teintures non certifiées bref on était loin de son idéal écologique. Elle a fini par repérer un site qui proposait du fil à tricoter en chanvre, avant de se rendre compte que ce dernier avait mis la clé sous la porte. Mathilde raconte :
« D’un côté, ça m’a fait un peu peur : je me suis dit que si la boutique avait fermé, c’est qu’il n’y avait pas de demande. Et en même temps, je me suis dit que c’était une matière trop intéressante pour ne pas au moins essayer. »
Mathilde a donc contacté la personne derrière ce site pour lui demander des échantillons et faire des tests. Séduite par la fibre, elle s’est lancée quelques semaines plus tard ! Elle a d’abord racheté les fournisseurs du site, avant de faire beaucoup de changements au fil du temps pour coller au plus près à ses aspirations écologiques. Elle a lancé la production de ses premiers bains et a reçu ses premières commandes, puis les affaires ont vraiment décollé avec le lancement de son compte Instagram.
Du loisir à l’activité professionnelle, pour Mathilde, il n’y a eu qu’un pas :
« Comme il n’y avait pas de fils de chanvre sur le marché, le seul moyen de pouvoir tricoter mes pulls, c’était de les produire. J’ai épluché internet pendant des mois, je n’ai trouvé que ce site, fermé. Je pense que la frustration a joué. Je n’ai pas arrêté mon travail tout de suite, j’ai fait ça à côté. Mais rapidement si on veut se donner toutes les chances pour que ça marche, il faut faire de la communication, des newsletters, et les commandes se multipliaient. Rapidement, j’ai aussi dû faire des recherches complémentaires parce que je voulais développer la gamme. On ne crée pas une marque avec une seule référence. Il a fallu appeler les teintureries, les entreprises qui font le retors, les convaincre de travailler avec une petite marque qui commande seulement 100 ou 200 kg de fils. »
C’était quand même un sacré pari et comme bien des entrepreneur·es, Mathilde a dû faire face aux craintes de ses proches : mais qu’est-ce que tu fais ? qui va tricoter du chanvre ? et déjà, qui tricote ? Quand on ne pratique pas soi-même ce genre de loisir, difficile d’imaginer qu’il existe un marché !
Restait également à vaincre une difficulté supplémentaire : avec une boutique en ligne, on ne peut pas toucher la matière. Or pour le chanvre, c’est particulièrement important. En effet, si le fil présente un toucher sec au premier abord, il s’assouplit énormément lorsqu’il est tricoté et lavé. Mathilde est donc très présente sur les salons (vous pourrez d’ailleurs la retrouver à Yarndale, festival qui se tiendra à Skipton les 28 et 29 septembre et au Knit Eat à Lyon les 12 et 13 octobre prochains). Il a fallu quelques années pour sensibiliser les tricoteur·ses à cette nouvelle fibre, mais à force de patience et de pédagogie, Mathilde a réussi et les aficionados du chanvre sont de plus en plus nombreux·ses ! Un atout pour elle car les personnes convaincues par le chanvre n’hésitent pas à en parler autour d’elles et font à leur tour des émules.
Depuis quatre ans, Mathilde parle du chanvre français comme si c’était le Graal. Pourtant, le chemin est semé d’embûches ! D’abord inexistant, il fait ensuite l’objet de tests et lorsqu’il est enfin prêt à être commercialisé, on refuse de lui en vendre car la production balbutiante est réservée au luxe. Elle exulte : « Mais ça y est, je peux en avoir ! Il y a du chanvre français, filé en France. Jusque-là je me fournissais en Roumanie, qui était le pays le plus proche produisant du chanvre textile. En France, on avait totalement perdu ce savoir-faire. »
Se pose alors la question du coût car le chanvre français est plus cher que son équivalent roumain. Après réflexion, plutôt que de transvaser toute la gamme de l’un à l’autre, Mathilde a décidé de garder le Pernelle tel qu’il est et d’ajouter une petite gamme d’écheveaux de 50 g en chanvre français, dans un fil un peu plus fin, ce qui répond aussi à une demande qui lui est régulièrement faite. Ce nouveau fil devrait apparaître dans sa boutique fin 2024.
Avec Mathilde, nous avons aussi beaucoup échangé sur son quotidien d'entrepreneure et de cheffe d’entreprise. Elle fait deux constats importants : «D’abord, on fait toutes les erreurs possibles, on apprend au fur et à mesure. Ensuite, il est vraiment important de bien s’entourer, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel. On rencontre des gens avec qui ça fonctionne particulièrement bien et dont les conseils sont précieux. Grâce à Caroline, ma commerciale, j’ai vraiment développé mon réseau de revendeurs et elle avait le recul nécessaire sur le marché pour m’aider à réévaluer ma gamme de couleurs. Et sans ma mère, ma soeur et mon compagnon, qui me soutiennent au quotidien, je ne pourrais pas faire tout ce que je fais.»
Elle constate également qu’on ressent tout plus fort, qu’il s’agisse des succès comme des déceptions. Elle me parle aussi de sa difficulté, parfois, à être prise au sérieux lorsqu’elle parle de tricot avec de potentiels fournisseurs ou les membres de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Mais la passion la pousse à continuer car elle est certaine que nous avons encore beaucoup à découvrir sur les fibres végétales et qu’étant donné le contexte climatique, elles sont l’avenir.
Et sur le plan financier ? À l’aube de sa cinquième année, Mathilde ne vit pas encore complètement de son activité car il y a toujours de nouveaux investissements à faire pour développer la marque. Néanmoins, elle voit cette perte de confort matériel comme une chance : cela lui a permis de revoir ses habitudes, de consommer moins et mieux et de se tourner vers de nouveaux centres d’intérêt.
Les fils Natissea sont disponibles en ligne toute l’année sur la boutique de Mathilde et chez une cinquantaine de revendeurs en France et à l’étranger. Pour en apprendre plus sur les propriétés du chanvre et du lin, je vous invite à lire cet article de Noémie, ainsi qu’un dossier spécial sur les nombreuses vertus du Chanvre.
Pour finir notre échange, je demande à Mathilde d’où vient le nom de sa marque : « Je voulais un nom doux à partir de “nature”. La nature, c’est quand même la base de ce que je propose. Ce nom fait aussi référence au fait de tisser, tisser des liens avec les gens, tisser avec la matière aussi. La fin fait référence à SEAL, la certification de produits écologiques et Made in France. Et le hasard fait que c’est proche de mon nom de famille aussi ! »