Dans les coulisses de Christal LK

Écrit par
Maillequemaille

25

July

2024

Echeveaux de laine multicolores posée sur une table, avec de belles plantes
Pour cette première série d’interviews consacrées aux personnalités qui vivent aujourd’hui des arts du fil mais qui ont eu auparavant une autre vie professionnelle , j’ai choisi d’interviewer Christelle Nihoul, plus connue sous le pseudo de Christal LK. Inspirante et battante, celle qui est aussi designeuse et podcasteuse a créé sa propre marque de laine : Peregrine. Découvrez à travers cette interview cette talentueuse technicienne du tricot ainsi que sa marque de laine, la plus belge des marques française !
Christelle dans son propre design du pull Fairy's Mist, à retrouver sur Ravelry

Bonjour Christelle et merci d'avoir accepté cette interview. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, je suis Christelle Nihoul, ChristalLK Designs et ceci est …. l’introduction de toutes mes vidéos YouTube ! Je suis designer tricot depuis maintenant 13 ans et je suis aussi créatrice de la marque CLK Peregrine, une laine conçue à partir de toisons de moutons français.

Le tricot au sens large (design, laine) est aujourd'hui votre principale activité mais cela n'a pas toujours été le cas. Pouvez-vous nous parler un peu de la vie professionnelle que vous aviez avant ?

En effet, je n’étais pas dans le milieu créatif professionnellement parlant. J’étais dans le milieu médical auparavant. J’ai eu plusieurs casquettes et ai travaillé dans différents milieux : hôpital, maternité, en libéral et à domicile. J’ai fini ma carrière comme formatrice, consultante en lactation et auditeur.

Comment le tricot est-il arrivé dans votre vie ?

Aussi longtemps que je m’en souvienne, il y a toujours eu du tricot dans ma vie. Je vivais avec ma grand-mère qui était une grande férue de Bergère de France. Elle recevait les fameux catalogues de fils et j’avais plaisir à les toucher, à choisir les matières pour les vêtements qu’elle allait me tricoter.

Ensuite, j’ai appris à tricoter, un peu au début (la fameuse écharpe au point mousse) et vers 16 ans, j’ai tricoté mon premier pull, conçu de A à Z. J’ai délaissé le tricot lorsque je suis entrée à l’université et l’ai repris occasionnellement jusqu’à la naissance de ma dernière fille où j’ai décidé de reprendre les aiguilles pour de bon.

J’ai aussi beaucoup crocheté, notamment après un accident de voiture qui a immobilisé mon bras droit pendant plusieurs mois (un joli moyen de rééducation !).

A quel moment l'idée de faire du tricot votre activité principale est-elle venue ? Quel a été le déclencheur de ce changement ?

Cette idée est venue rapidement après mon inscription sur Ravelry. J’ai vu un monde s’offrir à moi et j’avais envie de partager mes idées. J’étais dans une période de transition, nous venions de déménager et changer de région, j’avais une petite fille, mon troisième enfant, qui n’était pas encore scolarisée et j’avais beaucoup de doutes sur la poursuite de mon activité professionnelle et aussi sur la dynamique comptable qui régnait dans le monde médical.

Je me suis donc lancée, tout à d’abord à temps partiel mais ce n’est qu’à partir de 2015-2016 que j’ai décidé de franchir le pas et d’envisager de faire du design mon activité principale.

Est-ce que ce changement de vie a été facile à opérer ? Pour quelles raisons ?

Non, ça n’a pas été facile. Sauter le pas dans un monde qui est relativement nouveau en Europe, tout construire à partir de zéro alors qu’il y a peu de personnes qui peuvent vous aider peut être un vrai frein.

Sans compter le côté financier, il faut avoir un conjoint qui vous soutient et qui puisse assurer derrière vous sinon cela s’avère compliqué.

Vous créez de nombreux patrons de tricot, aussi bien de vêtements que d'accessoires. Comment avez-vous appris à designer ? Y a-t-il un cursus ou un diplôme particulier ? Tout le monde peut-il devenir designer ?

Il n’y a pas de cursus designer en Europe. Je n’ai pas de diplôme certifié car ça n’existe pas en tant que tel même s’il existe un diplôme « master mailles » aux Beaux Arts de Bruxelles qui tient plus du stylisme que du design tel qu’on l’entend dans le monde du tricot.

Il existe cependant des formations aux États-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni mais elles ne sont pas diplomantes (du moins elles n’ont pas de valeur de diplôme chez nous). Je me suis donc formée surtout avec des livres et en partageant beaucoup avec un groupe de designers américains et notamment avec l’une d’entre elles qui a un parcours de formateur.

Mais j’avais surtout une très bonne base donnée par ma grand-mère :elle cousait énormément et m’a appris à patronner. Donc bien avant de pouvoir coudre, tricoter et crocheter, je savais placer des pinces, dessiner une robe, des manches, faire des adaptations et couper le tissu.

Quant à la question : tout le monde peut-il devenir designer ? Je dirais oui. Mais il faut pour cela avoir envie de se remettre en question en permanence, avoir envie de se former, d’apprendre en permanence, ne pas avoir peur de se tromper et surtout avoir un minimum de connaissances en géométrie et en math. En fait, il faut faire preuve de plasticité cérébrale, d’ouverture d’esprit et de résilience.

Le dernier design de Christelle : le châle Solaris, en collaboration avec Arco Iris Yarn. Couleurs : Peregrine fingering coloris mousse et Arco Iris Yarns Dr Wool.

Vous avez également créé votre propre marque de laine. Là encore, pouvez-vous nous parler de comment cette idée a germé dans votre esprit et quel a été le déclencheur pour vous lancer ?

Je suis quelqu’un qui aime aller au fond des choses donc quand j’ai repris le tricot, je me suis intéressée aux patrons, à la construction des patrons, au mode de pensée des designers mais aussi à la fibre ! Donc de fil en aiguille, j’ai commencé à filer. J’ai expérimenté plein de matières différentes, plein de techniques différentes et je me suis plongée dans l’ingénierie textile.

En parallèle, j’ai commencé à fréquenter la Filière Laine Belgique dont le but était de valoriser les toisons des ovins qui se trouvaient sur le territoire belge. C’est là que l’idée de créer ma laine a germé. Et c’est en discutant un jour avec Ygaëlle Dupriez, ancienne coordinatrice de la Filière Laine, que le projet s’est réellement mis en place.

Aperçu de la gamme de couleurs de Peregrine.

Pouvez-vous nous parler de votre marque, ses valeurs, sa gamme, comment vous la faites vivre ?

Peregrine est un 100% laine française, plus précisément Est-A-Laine Mérinos. Il s’agit d’une des 4 races françaises mérinisées à la fin du 17ème, début 18ème siècle. Je travaille avec une éleveuse pour le moment (bientôt deux) pour que la fibre retrouve sa splendeur d’antan. En effet, l’Est-A-Laine Mérinos était vendu plus cher que le mérinos sur les marchés de la laine dans les années 1950 et servait beaucoup au textile.

Je suis convaincue qu’à l’heure actuelle, il est important de valoriser le terroir et le savoir-faire local. La connaissance du textile et notamment de la laine de mouton faisait partie de l’ADN du Nord de la France et de lz Belgique et cela s’est perdu avec la mondialisation et l’arrivée du plastique.

Peregrine est donc un fil local, fabriqué en grosse partie en France maintenant et teint en respectant les normes écologiques. Je veille à travailler en étroite collaboration avec les éleveurs pour que les moutons soient respectés et traités correctement ainsi que pour améliorer la finesse de la fibre (je peux maintenant dire que nous avons atteint la même finesse que le Blue Faced Leicester non superwash). Je travaille aussi en collaboration avec une filature française pour vous proposer un fil filé et teint sur le territoire français.

Il y a pour le moment 2 épaisseurs de fil : un 4 brins peigné (équivalent fingering) et un 8 brins peigné (équivalent DK). La gamme s’étendra dans le futur car je suis à la recherche d’autres éleveurs pour proposer d’autres mélanges de fil.

Pour le moment, vous retrouverez essentiellement Peregrine sur mon site internet et dans les salons.

Photo d’un troupeau de moutons Est- A-Laine.

La question peut sembler naïve mais par quoi on commence, quand on a une idée de ce type (créer une marque de laine) ?

En effet, question non pas naïve mais plutôt difficile à répondre. Je crois que l’idée a germé quand j’ai eu l’occasion de poser des questions sur la démarche qu’a faite Brooklyn Tweed aux Etats-Unis. Et puis tout a été une question de rencontres avec les bonnes personnes, de recherches et d’opportunités.

Donc par quoi commence-t-on ? Par trouver la matière adéquate ? Aller à la rencontre des éleveurs, prélever des toisons et faire analyser en laboratoire pour voir si ça vaut la peine d’utiliser cette fibre !

Qu'est-ce qui a été facile dans cette aventure ? Et à contrario difficile ?

Je ne sais pas si quelque chose a été facile dans cette aventure ! Il a fallu trouver les bons acteurs (ce qui a pris quasiment quatre ans), auto-financer le projet, choisir les couleurs, le type de fil.

Et je ne compte pas les écueils depuis 2020 ! Arrêt de l’industrie textile pendant le Covid, réduction de personnel suite aux mesures, pannes de machines et pièces que l’on ne trouve qu’en Chine (alors que la Chine était totalement fermée), ensuite inondations à Verviers avec des curons de laine dont on ne savait plus où ils se trouvaient car une partie de l’entreprise avait été détruite par la Vesdre.

Et maintenant d’autres petits soucis qui font que chaque production a eu son lot de difficultés. Sans compter le travail qu’il faut faire auprès des tricoteurs pour les convaincre que oui, un fil français peut être intéressant à tricoter !

Avec le recul, que pourriez vous nous dire de cette expérience ? Aviez-vous déjà de l'expérience en entreprenariat ? Qu'est-ce que cela vous a apporté ?

Je pense que si je revenais 8 ans en arrière, je réfléchirais peut être à deux fois avant de me lancer ! Mais je suis certaine que je me lancerais quand même !

Cette expérience a été formatrice dans tous les sens du terme, j’ai appris à dialoguer avec plusieurs acteurs de terrain, de l’éleveur au directeur de filature, j’ai appris à faire la « glue » entre chaque acteur car il n’existe plus vraiment de parcours « tout fait ». J’ai aussi appris à prendre des risques sans le filet de sécurité du salariat (car même si j’étais libérale, j’avais une certaine sécurité car je ne travaillais pas à temps plein en tant que libérale).

Je dirais que cela m’a apporté plus de force et plus de résilience. Cela m’a aussi donné l’opportunité de rencontrer des gens géniaux, passionnés par leur travail. Et pour être tout à fait honnête, cela a aussi apporté son lot d’incertitudes, de nuits blanches et d’angoisses car Peregrine reste fragile malgré tout, il y a encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir souffler et estimer qu’elle est une valeur sûre dans le monde du fil.

Quels sont vos projets avec Peregrine, d'autres collections ou collaborations sont-elles prévues ?

Les débuts de Peregrine ont été compliqués (Covid, inondations en Belgique) donc je me suis limitée jusqu’à présent à faire des salons en France pour présenter ma laine.

Mais depuis peu, je vous propose aussi un fil teint par des teinturières en collections éphémères, il y aura aussi de plus en plus de patrons créés par des designers indépendants et j’espère que bientôt, Peregrine sera disponible en mercerie ! Un troisième lot de Peregrine est en cours de production et devrait arriver en salon et sur mon site début 2025.

Pull réalisé en Peregrine DK coloris Ivoire.

Et côté design ?

Je continue à faire des collaborations avec des marques et des teinturières mais vu que je suis seule à mener la barque, j’ai pris beaucoup de retard en début d’année sur les designs prévus en 2024-2025 suite à un gros souci avec mon ancien comptable.

Je n’arrête pas le design pour autant mais j’ai réorganisé ma façon de travailler car je ne peux pas être au four et au moulin. Je ne peux pas sillonner la France et la Belgique pour les salons et designer en même temps donc il y aura des périodes sans salon pour avoir l’opportunité de designer les collections à venir et puis des périodes avec salons mais sans beaucoup de tricot.

Et enfin, côté podcast ?

Au niveau podcast ? Je continue mon petit bonhomme de chemin avec une vidéo par semaine le samedi matin. Je continuerai à vous proposer des sujets divers et variés sur le tricot, sur la laine, sur la fibre à tricoter ! J’espère sincèrement que le podcast touchera de plus en plus de monde dans le futur et vous donnera envie d’en savoir plus sur votre art créatif préféré.

Pour finir, un petit portrait chinois ...

  • Si vous étiez une fibre :  non pas l’Est A Laine Merinos, mais la soie, parfois lisse, parfois irrégulière et difficile à dompter.
  • Si vous étiez un calibre de fil : la fingering, versatile et polyvalente.
  • Si vous étiez une pièce de tricot : un pull.
  • Si vous étiez une couleur : le lilas, ma couleur préférée.
  • Si vous étiez un point de tricot : le jacquard pour peindre en couleurs et raconter des histoires.

Retrouvez Christelle sur internet :

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Elodie, alias Maillequemaille (parce que je persévère !). Passionnée de littérature et d'écriture autant que de tricot, j'ai trouvé ici le moyen de mélanger mes saines addictions. J'aime les fils de toutes sortes et les liens qu'ils permettent de tisser.

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